X‑Internat l’excellence pour tous
X‑Internat est un des dispositifs du Pôle Diversité et Réussite (PDR) de l’École polytechnique mis en place à la rentrée 2016 pour tenter de combattre l’effet de reproduction sociale des élites, et ouvrir l’École à plus de diversité. La Jaune et la Rouge est allée rencontrer Alice Carpentier, responsable du Pôle et Sarah Pouyaud-Ely, chargée de mission diversité au PDR.
« La question de la diversité sous toutes ses formes est aujourd’hui très présente dans la communauté polytechnicienne. Le manque de diversité, notamment sociale, n’a pas toujours été aussi visible qu’il l’est devenu, et cela interpelle les anciens car eux-mêmes ont connu une époque où l’ascenseur social fonctionnait mieux. Nombreux sont donc les anciens élèves de Polytechnique qui choisissent d’aider le PDR. Ils sont persuadés que ce n’est pas l’École qui est discriminante, mais plutôt que le manque de diversité résulte d’un système qui fonctionne mal en amont. Cependant, l’École dispose de plusieurs leviers de réussite avec notamment la capacité à mobiliser des élèves pour nous aider, qu’ils soient bénévoles ou rémunérés sur la base de « colles » ou encore au titre de leurs affectations civiles (stage FHM). L’engagement des élèves est très visible à l’École. La communauté des anciens nous soutient à travers la Fondation et nos propres campagnes de levée de fonds.
Genèse du programme X‑Internat
Le rapport Attali avait préconisé de monter un internat d’excellence à l’École polytechnique. Nous nous sommes rendu compte que les besoins étaient à concentrer sur les week-ends et les vacances scolaires. Pour entrer à l’X, il y a des prépas « sources » qui préparent mieux comme Hoche et Louis-le-Grand. Mais elles sont fermées pendant les vacances scolaires, et Hoche l’est aussi le week-end. Or, pour des élèves qui ont du potentiel et ont réussi à intégrer ces prépas, nous nous sommes aperçus qu’il restait un petit delta pour intégrer des écoles de rang 1, à cause des conditions de travail le week-end et les vacances scolaires. Certains élèves choisissent de ne pas aller dans ces prépas à cause de ces paramètres ; ou bien, quand ils intègrent, ils ne se retrouvent pas dans de bonnes conditions de travail. Quand on est en prépa, toute la famille est en prépa. Or, nous voyons des élèves qui doivent aider leurs parents dans l’entreprise familiale le week-end, ou bien qui sont mis à contribution pour s’occuper de leurs petits frères et sœurs.
Mise en place des partenariats
Au fil des discussions avec les établissements, Yves Demay, alors directeur général de l’École, a mis en place un partenariat avec Hoche qui permet d’accueillir ces élèves, qui n’auraient pas intégré Hoche sans le dispositif. Louis-le-Grand nous envoie aussi des élèves pour que nous leur donnions des conditions de travail optimales pour réussir les concours. Car les familles qui ont connu la prépa ou dont les parents sont profs savent comment entourer et accompagner au mieux leurs enfants. Mais pas les autres. Avoir de bonnes conditions de travail, être en contact tous les week-ends avec des élèves polytechniciens dans le cadre des colles et pendant les vacances contribue à pallier ces différences. Nous avons commencé à 15, en recrutant sur de plus petites prépas. Maintenant, nous concentrons notre recrutement sur Hoche et Louis-le-Grand.
Mettre toutes les chances de leurs côtés
Le plus gros travail pour nous a été de savoir comment accueillir ces publics à l’École le week-end. Plusieurs questions se posaient, notamment relatives au logement, et nous ne disposions pas d’expérience dans ce domaine avant le lancement du bachelor dont les élèves, pour certains mineurs, sont aussi hébergés le week-end. Certaines choses se sont en revanche mises en place très facilement, comme la mobilisation des élèves qui sont très présents dans le dispositif : une quinzaine de colleurs qui tournent les week-ends, avec l’aide d’Élie Bermot (2017), un élève référent très présent et impliqué pour recruter des élèves et suivre le dispositif. Sur notre première promotion de 15 élèves, nous avons des élèves qui sont entrés aux Mines, un qui est entré à l’ESPCI, une des élèves a même été reçue à Centrale, mais elle est allée en 5⁄2 car elle ne veut que l’X… Nous étions un peu impressionnés d’avoir suscité une telle ambition, quand elle nous a appris sa décision de refuser Centrale !
“Nous revenons aux fondamentaux
de l’École, à l’image du tour de France que Monge organisait pour recruter
les premières promotions”
Tous ambassadeurs
Les élèves découvrent le dispositif X‑Ambassadeurs lors de leur affectation civile car plusieurs font leur stage FHM dans les lycées concernés. À Hoche, les élèves font du suivi pour les élèves boursiers, ceux de l’internat en particulier. Ils sont aussi volontaires désignés lorsque nous organisons des séminaires.
L’idée à moyen ou long terme serait de mobiliser ceux qui sont en affectation militaire pour qu’ils jouent un rôle d’ambassadeur du programme et qu’ils aillent visiter les lycées pour parler de nos actions, faire la promotion de nos « colos de maths », de nos Science camps, de nos tutorats en ligne, de notre internat. Tout le monde devrait être ambassadeur, ce qui permettrait un excellent maillage au niveau national. En réalité, nous revenons aux fondamentaux de l’École à l’image du tour de France que Monge organisait pour recruter les premières promotions. Il s’agit d’un levier de recrutement très efficace. Quand le PDR envoie un courrier aux lycées pour faire connaître son programme, le lycée lui-même fait souvent de l’autocensure en estimant que ce dispositif n’est pas du niveau de ses élèves, alors qu’il y en a peut-être un pour qui une sensibilisation serait pertinente. Mais si les élèves et les cadres rencontrent des jeunes X qui sortent de prépa, cela devient humain, plus concret lorsque l’on offre un internat ou des cours en ligne…
Les bourses de la Fondation constituent un levier de réussite primordial, au même titre que les outils que nous développons pour repérer et accompagner les talents en amont. Cela passe par l’internat, par le fait de donner des ressources aux professeurs qui vont préparer ces élèves en province. L’idée, c’est que les professeurs, qui détectent des élèves brillants dans leurs effectifs, sachent qui contacter et comment les préparer au mieux aux concours étoilés. C’est un autre moyen pour l’X de descendre de sa montagne.
Cibler la diversité sociale
Pour bénéficier du dispositif, le premier critère examiné est le statut de boursier. Nous prêtons ensuite attention au niveau de diplôme des parents. Nous avons reçu des demandes de boursiers pour intégrer l’internat, mais ils venaient de familles dont les parents avaient parfois un niveau d’études bac + 5 voire bac + 8 : à l’évidence, ce n’était pas le public ciblé. Notre cœur de cible est les élèves boursiers dont les parents n’ont pas fait d’études dans le supérieur.
Toutes les actions du PDR sont regroupées sous un même chapeau : la campagne X‑Talents de détection et d’accompagnement des talents. Et alors que le fait d’être boursier peut être perçu comme un peu dégradant, nous nous sommes rendu compte récemment que, à l’étranger, le fait de bénéficier d’une bourse d’excellence, d’avoir été distingué et choisi par la communauté des anciens est au contraire considéré comme une fierté, un plus. À nous de faire évoluer les mentalités ici ! »
Le Pôle Diversité et Réussite
Lancement en 2013 de trois thématiques : l’égalité (sociale) des chances dans l’éducation ; l’égalité femmes-hommes ; le handicap. Le fonctionnement est fondé essentiellement sur fonds propres à 79 %.
Pour en savoir plus et soutenir les actions du Pôle Diversité et Réussite :
Contacter Alice Carpentier
01 69 33 38 99
06 89 71 78 99
alice.carpentier@polytechnique.edu
Rencontre avec deux « internes » Ahsan et Nadir et une des tutrices du dispositif, Romane (2018)
Ahsan et Nadir sont élèves en classes préparatoires, à Hoche pour Ahsan et Louis-le-Grand pour Nadir. Ahsan vient du lycée Edmond-Rostand à Saint-Ouen‑l’Aumône tandis que Nadir vient du lycée Notre-Dame de Mantes-la-Jolie. Ils sont en 3⁄2 et bénéficient du dispositif X‑Internat. C’est par leurs professeurs qu’ils ont entendu parler de la prépa et qu’ils ont été orientés vers les établissements susceptibles de leur ouvrir les plus grandes écoles, avec le soutien d’X‑Internat. Nadir a été recruté à l’occasion du passage de jeunes ambassadeurs polytechniciens dans son lycée en première, lorsque ceux-ci effectuaient leur stage FHM civil. De l’aveu des deux « taupins », les six premiers mois en prépa ont été très durs. Le rythme de travail mais aussi la découverte du milieu social assez homogène de la prépa, différent du leur, ont constitué un vrai choc. Mais maintenant, en deuxième année, ça va, nous ont-ils assuré. Leur parcours en prépa ne semble pas leur poser de problème pour garder le contact avec leurs amis, même si, selon eux, ils ne comprennent pas forcément ce qu’ils font. Néanmoins, nous les sentons confiants et sereins, et ambitieux aussi. Ahsan vise une École des mines tandis que Nadir n’ambitionne rien de moins que l’X.
Romane (2018), très engagée dans le dispositif, vient des Mureaux (78) et a connu elle aussi ce choc. D’abord élève en hypokhâgne B/L à Henri-IV, elle s’est réorientée en sciences à Saint-Louis, d’où elle intègre Polytechnique. Elle aussi a gardé ses amis du lycée, mais reconnaît ressentir parfois un certain décalage culturel dans les passe-temps et les loisirs, très limités et très ciblés quand on est en prépa, ce qui n’est pas forcément bien compris, mais aussi dans son absence de contraintes financières pendant ses études, quand ses amis devaient travailler pour étudier. Elle a donc plusieurs groupes d’amis, ceux du
lycée, ceux d’Henri-IV, ceux de Saint-Louis et maintenant ceux de l’X, mais ces sphères ne se rencontrent pas vraiment. Actuellement, elle effectue son stage civil dans le lycée de Mantes-la-Jolie, où elle remplit un rôle d’accompagnement, de soutien et aussi de témoignage : « Mon parcours m’empêche d’ignorer l’existence de classes entières de la population qui ont très peu accès à ces parcours d’excellence. Nous savons que nous ne pouvons pas seuls pallier les phénomènes sociaux qui mènent à ces disparités. Et il ne faudrait pas faire de l’outil de mesure l’objectif en lui-même. La diversité n’est pas une fin en soi, elle n’est que la mesure d’un système juste et intelligent qui garantit à l’École son excellence. Je suis heureuse d’observer qu’il y a une réelle volonté d’œuvrer pour cette diversité à l’École polytechnique. »
Propos recueillis par Alix Verdet