X‑Santé : servir la condition humaine
La création du groupe X‑Santé, devenu association loi 1901, a été laborieuse et s’est étalée sur plus de trois années. Il était manifeste que l’absence d’un groupe de l’AX sur ce vaste domaine et problème de société prioritaire était une sérieuse anomalie. Mais comment passer de l’intention à la réalité sans affaiblir une profonde passion pour le sujet ? Comment rassembler utilement ?
Laissons de côté le détail des motivations personnelles qui ont forgé cette passion et suscité l’intention de création ; seuls deux événements marquants seront rapportés plus loin sur ce point. Des écueils naissent les erreurs. La première fut de croire qu’il fallait définir “ l’intérêt général ” des futurs membres pour les convaincre. Après quelques consultations, il me revint à l’esprit cette maxime ironique de Blaise Pascal : “ L’intérêt général est un cercle de rayon indéterminé dont le centre est partout. ” Pour créer dans la passion, il ne fallait pas rechercher le consensus mou.
Alors deux personnalités m’incitèrent à poursuivre. La première était un camarade éminent (dont je conserve l’anonymat), la seconde, Madame Béatrice Majnoni d’Intignano que j’avais rencontrée comme auteur d’un article du numéro de février 2001 de notre revue. C’est une des personnalités françaises les plus qualifiées pour donner un avenir à notre système de santé.
Être une force de propositions
La société française est désenchantée, à la recherche de repères et de valeurs. Sa relation au monde politique est plus que difficile : elle oscille entre l’hostilité active, l’indifférence passive et la méfiance face à toute perspective de changement. Inutile de s’étendre ici sur les raisons de la situation. Ce serait trop long, voire contraire au principe de neutralité politique qui est dans la charte de l’AX. Pour autant, la société civile a besoin de forces de propositions, libres de toute approche politicienne, idéologie et dogmatisme.
Depuis vingt-cinq ans, la santé fait l’objet de réformes et de dépenses dont les résultats ne sont pas à la hauteur des intentions. L’incrédulité des citoyens est donc profonde. Cela ne pourra changer tant que le discours et le mode de pensée conforteront l’oubli de la réalité humaine et de la diversité des attentes. De plus, nul ne croit aux bonnes intentions quand l’effort de tous ne bénéficie qu’à un très petit nombre.
Il faut des gens de bonne volonté, aux capacités de travail et d’analyse éprouvées, pour imaginer et construire à long terme, alors que le politique a du mal à regarder au-delà des échéances immédiates.
La société américaine, probablement plus ouverte au dialogue et plus indépendante de la vie politique, peut se prévaloir de groupes de réflexion et de propositions dans différents domaines : le terme » think tank » y est devenu un concept. X‑Santé veut être un » think tank « , mais il faut rassembler pour travailler ensemble et partager des idées, donc aller de la stratégie à l’action.
Se rassembler
La seconde erreur, plus mesurée, fut d’espérer rassembler sur la seule dynamique de la formation polytechnicienne : pluridisciplinaire, fondée sur l’honnêteté intellectuelle, appelant à la confrontation entre l’abstraction pour définir les éléments et les relations d’un système, et la réalité à analyser et formaliser. Cette dynamique est incontestablement nécessaire, mais dans le cas présent, elle ne peut être pleinement utilisée que par ceux qui ont un vécu et une sensibilité dans le contexte de la santé : par leur curiosité, par leur environnement familial, les événements de la vie, l’engagement social, la vie professionnelle et le choix d’un métier…
En effet, la santé est faite d’une infinité d’événements quotidiens, particuliers sur le plan médical, spécifiques à chaque personne concernée, et dont les acteurs principaux sont avant tout les patients. Ou supposés tels, tant que la limite entre l’état de bien portant et de malade n’est pas fixée. En fait, on ne peut prétendre connaître vraiment le monde de la santé tant que l’on ne comprend pas la condition du patient.
C’est cette infinité d’événements qui conduit à construire en permanence une politique de soins, un système de santé avec des moyens et des structures, autour d’un principe de solidarité entre générations et entre catégories sociales.
Au fil des années, le progrès scientifique et industriel, les enjeux éthiques, le droit et les lois, l’équilibre macro-économique et les comptes sociaux, les comportements des citoyens… s’imposent dans le contexte de la santé comme des facteurs de progrès, de risques, de conflits, de satisfactions et d’insatisfactions.
Même avec une grande intelligence et une haute conscience professionnelle, beaucoup interviennent sans bien connaître la réalité humaine, ni mesurer la portée de leur travail. Ils en oublient les patients, leurs familles et les soignants » de terrain « . Alors, la condition humaine est perdue de vue. Le respect de la spécificité unique de l’esprit et du corps disparaît machinalement. À l’échelle de la société, on ignore que, quotidiennement, la maladie, la souffrance et la mort sont près de nous. Pratiquer l’autisme et l’égoïsme devant cette réalité, c’est passer à côté de la connaissance de la condition humaine, de l’admiration et du service que nous pouvons lui porter. À l’échelle supérieure, c’est déshumaniser le système de santé et notre société.
X‑Santé agit par son think tank, mais recentre toute réflexion et proposition sur la réalité des faits, et sur la dimension humaine.
Dessine-moi un marsupilami !
Le lancement a pris définitivement tournure peu après des circonstances vécues comme un enrichissement personnel, comme un » cadeau » me disait une psychologue du milieu hospitalier. La première fut de vivre près d’un lit d’hôpital les dernières heures d’une parente, femme exceptionnelle, atteinte d’un cancer du poumon alors qu’elle était très active. Ce que l’on ressent est un mystère qui ne se réfère à aucune autre expérience. On ne saurait le relater, sauf dans un roman, car il s’agit d’un secret qui ne se partage pas. Secret bouleversant, certes, éblouissant, ô combien !
La seconde fut aussi souriante que triste, aussi anecdotique que révélatrice. Durant plusieurs jours, des échanges informels et difficiles, dans la belle cour fleurie d’un hôpital, m’amenèrent à connaître une jeune femme gravement malade. Elle était souriante, mais parlait d’un ton désabusé de ses épreuves. Aucun encouragement ne semblait l’aider. Elle était enfermée dans la solitude, malgré l’entourage de tout le personnel soignant. Je lui montrai le marsupilami en peluche qui était accroché à sa » perf » (comme on dit à l’hôpital) : » Pourquoi ? » Les yeux pleins de larmes, elle répondit : » C’est ma seule compagnie, il ne me quitte jamais. »
Alors j’ai pensé à Antoine de Saint-Exupéry. Il voulait le rapprochement entre les hommes ; il cherchait à retrouver l’être humain derrière la société et le progrès technique. » Dessine-moi un marsupilami. » C’est ce que j’ai tenté en lançant X‑Santé. Longue vie à cet animal de bandes dessinées lues par tous les jeunes de 7 à 177 ans : il est l’antidote de la morosité et de l’indifférence. Il est un signe de partage dans X‑Santé.
Une naissance sur fond de canicule
C’est à ce tournant du texte que la plume passe de la main du Président à celle du Secrétaire général choisi lors de la réunion fondatrice de juin 2003.
Des camarades avaient été contactés pour parrainer la création et en devenir membres, en complétant la liste des camarades connus du fondateur par un audit minutieux de la » bible » pour y repérer ceux qui étaient proches du monde de la santé. Pari réussi : non seulement il y eut rapidement soixante parrainages, mais autour de la table de la première réunion, une trentaine de camarades s’étaient déplacés et attestaient de la diversité polytechnicienne. Pour moi, cela soulignait au passage – mais là n’est pas mon propos – que l’investissement consenti par la Nation dans ces études coûteuses porte aussi ses fruits dans l’engagement associatif.
Il se trouvait là quelques X, professionnels de santé eux-mêmes. Votre serviteur, qui avait vécu ses études à l’X comme une activité à temps complet, éprouvait de l’admiration pour ceux qui les avaient menées pour mieux préparer des études de médecine. Après les présentations d’usage, les échanges portèrent sur un grand nombre de sujets de fonds, parmi lesquels la formation, la recherche, l’éthique, le médicament, le système de santé, la médecine, les hôpitaux…, thèmes tous porteurs d’inquiétudes majeures auxquelles l’été 2003 a renvoyé peu après un écho cruel, mais pas vraiment surprenant. Dans les semaines suivantes, de nouveaux membres, X ou non, nous rejoignaient, heureusement surpris de se retrouver alors que rien ne les disposait à croiser leurs chemins.
Fin octobre 2003, X‑Santé présentait à l’AX les statuts préparés par Maître Michèle Sailly, premier avocat à nous rejoindre, ainsi que les parrainages. Le Conseil de l’AX donnait son agrément à la constitution du groupe – qui est aussi association loi de 1901 – sous réserve de ratification par l’Assemblée générale de 2004. L’avis de création paraissait dans La Jaune et la Rouge de novembre 2003. L’Assemblée générale constitutive du groupe X‑Santé s’est tenue dans une salle de l’Engref mise à notre disposition par nos camarades Cyrille Van Effenterre (74) et Gérard Degoutte (67) : approbation des statuts, fixation d’une cotisation modique de 20 e et nomination d’un Bureau, à l’image de l’Association, c’est-à-dire pas seulement polytechnicien. Outre le président et le secrétaire général il comprend deux vice-présidents, Maître Laurence Azoux-Bacrie et Philippe Brunswick (74), consultant, quatre scientifiques de la biologie et de la pharmacie, Isabelle Giri, Carole Neves (92), secrétaire générale adjointe, Aude Sirven (92), David Sourdive (86), trésorier, et le Dr Christian Colas, médecin généraliste.
L’esprit adopté est de rassembler des personnes d’horizons divers, de privilégier un lien amical entre gens de bonne volonté, experts pour certains, novices passionnés pour d’autres, animés en commun par le désir de produire quelque chose de positif. L’originalité sera le fruit de la rencontre des expertises, bienvenues mais non exclusives, et des idées et des savoirs venant d’autres horizons. Il y a déjà beaucoup d’instances professionnelles, économiques et politiques sur la santé auxquelles X‑Santé n’a pas vocation à se substituer. En formulant » tendance « , nous dirions que X‑Santé est » ailleurs « .
La première année de réunions
La création a été publiée au Journal officiel des Associations le 21 février 2004. Depuis novembre 2003, plusieurs conférences d’actualité ont déjà été organisées, notamment grâce à Philippe Brunswick :
- le 5 novembre, » analyse de la crise sanitaire » avec Alain-Jacques Valleron (63), directeur de l’Unité d’épidémiologie et des sciences de l’information de l’Inserm, Yves Barrault, directeur général de l’hôpital Saint-Joseph, et Jean Carlet, coordonnateur du pôle urgences-anesthésie-réanimation-réveils de cet établissement et président du Conseil national de lutte contre les infections nosocomiales ;
- le 13 janvier 2004, » l’hôpital ingouvernable ? Les ambitions du plan de modernisation Hôpital 2007 » avec Jean Debeaupuis (76, inspecteur général de l’IGAS), Élisabeth Beau (directrice de la Mission d’expertise et d’audit du ministère de la Santé), et Dominique Vadrot, professeur des Universités et praticien hospitalier, chef du service de radiologie à l’Hôtel-Dieu, président de la Commission des réseaux à l’AP-HP ;
- le 8 mars 2004 » accès aux médicaments pour les pays en développement » avec Philippe Baetz, vice-président de Sanofi-Synthélabo, et Stéphane Mantion, secrétaire général de l’Organisation panafricaine de lutte contre le sida et directeur du partenariat à la Croix-Rouge ;
- le 11 mai 2004, rassemblant quelque 200 personnes pour cette circonstance exceptionnelle, » la réforme du système de santé : dangers, opportunités » avec Jean-Marie Spaeth, président de la CNAMTS, membre du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie, André Renaudin (76), délégué général de la Fédération française des sociétés d’assurance et membre du Haut Conseil, le Dr Jean-Pierre Bader, PU-PH émérite, conseiller des Éditions Vidal, Patrick Djelalian, président d’une mutuelle nationale, et Daniel Laurent, professeur des Universités, animateur de l’Institut Montaigne qui nous faisait l’amitié de nous accueillir dans ses locaux.
Le programme d’activités 2003–2004 s’est achevé brillamment le 2 juin par un dîner débat dans le cadre majestueux du Sénat, sur le thème » Éthique et santé, l’information et le consentement du patient » avec le Dr Jean Pouillard, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins, et le père Olivier Dupont de Dinechin (56), jésuite, membre du Comité consultatif national d’éthique. Participaient à ce dîner des membres de l’association, des camarades du GPX et de nouveaux adhérents. La réflexion avait été préparée par Laurence Azoux-Bacrie, l’organisation logistique menée avec brio par un de nos membres les plus impliqués, Madame Claude Bouchardy.
Les premiers gènes du think tank
Pour engager l’application de la stratégie, plusieurs groupes de réflexion se sont mis en place autour d’un animateur :
- la bioéthique et le droit de la santé, (animatrice Laurence Azoux-Bacrie) ;
- le cancer (Gordon Tucker, 79) ;
- la réforme du système d’assurance maladie (Patrick Djelalian) ;
- l’ingénierie de l’information médicale (Georges Richerme, 60) ;
- la crise et l’évolution de l’hôpital (provisoirement : Pierre Zervudacki) ;
- la santé publique (Philippe Brunswick) ;
- la veille sur l’information stratégique (Pascal Jacquetin).
Certains de ces groupes se sont réunis de nombreuses fois. Parmi ceux-ci, le groupe » bioéthique et droit de la santé » présente l’originalité de tenir des réunions communes avec la Commission correspondante de l’Ordre des avocats. Parmi les thèmes déjà évoqués : fonctionnement et responsabilités d’un Comité consultatif de protection des personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale ; la bioéthique aux USA et les étapes de la vie ; risques émergents de la santé au travail, le poids des nouvelles technologies de l’information et de la communication ; bioterrorisme et médecine de catastrophe ; avec des intervenants prestigieux qui nous pardonneront de ne pouvoir les citer tous ici.
Les événements de la rentrée sont » la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé « , » l’accréditation des établissements de santé français : où en sommes-nous ? « , » la maltraitance des enfants dans le sport « .
Entre les sciences dures dont Henri Poincaré dit qu’elles » portent sur la quantité et s’exercent par la mesure » (je cite de mémoire), et la médecine, dont Balzac note dans Ursule Mirouët (Scènes de la vie de province) qu’elle est » une des professions qui demandent du talent et du bonheur, mais encore plus de bonheur que de talent « , il y a la possibilité et nécessité de travailler et de s’exprimer pour servir la condition humaine. X‑Santé s’y emploie – son programme de travail de la première année en atteste – et continuera de le faire, espérons-le, avec bonheur et talent.