Jacques ATTALI (63)

X‑Solidarités ouvre le débat avec Jacques ATTALI (63)

Dossier : ExpressionsMagazine N°724 Avril 2017
Par Alix VERDET

Le der­nier débat de X‑Solidarités por­tait sur la micro­fi­nance et la microas­su­rance. L’in­vi­té d’honneur était Jacques Atta­li (63), pré­sident de Posi­tive Pla­net qui aide les jeunes des quar­tiers de ban­lieue à mon­ter leur entre­prise. Il voit venir la mort du sala­riat, cha­cun vou­lant exis­ter par lui-même. Cette grande ten­dance peut être soit valo­ri­sante, si on la voit comme l’épanouissement de soi, soit trau­ma­ti­sante, si on la voit comme une incer­ti­tude institutionnalisée. 


« Nous allons vers la mort du sala­riat », annonce Jacques Atta­li.

Dans son pro­pos intro­duc­tif, Jacques Atta­li a fait obser­ver que la lutte contre la pau­vre­té res­semble sou­vent au ton­neau des Danaïdes quand on sait qu’un mil­liard de per­sonnes souffrent de la faim. Il faut donc chan­ger de logi­ciel. Comme le disait le phi­lo­sophe juif Moïse Maï­mo­nide, il y a huit degrés pour pra­ti­quer la charité. 

Le plus haut degré consiste à aider un pauvre à créer ses affaires ou l’associer à ses propres affaires, jusqu’à ce qu’il ne soit plus dépen­dant des autres. C’est ce à quoi s’emploient la micro­fi­nance – ou finance posi­tive – et la microassurance. 

La pre­mière veut don­ner l’accès au micro­cré­dit et à l’épargne à tou­jours plus de per­sonnes dans les pays en développement. 

La seconde tra­vaille à créer pour elles une cou­ver­ture san­té indis­pen­sable et encore très rare, une assu­rance récoltes en cas de pro­blèmes cli­ma­tiques, etc. 

LA TECHNOLOGIE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT

Ces mul­ti­tudes de situa­tions font appel à des tech­niques très sophis­ti­quées et à une grande varié­té de métiers. Le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, très actif dans les pays en déve­lop­pe­ment, est d’une grande aide pour rele­ver ces défis. 

C’est en effet dans ces pays que l’on compte le plus de télé­phones mobiles (près d’un mil­liard en Afrique) et où ont d’abord émer­gé les fin­techs, c’est-à-dire les tech­no­lo­gies qui per­mettent d’avoir accès aux clients indé­pen­dam­ment d’un réseau physique. 

CLIMAT ET PAUVRETÉ

Concernant la lutte contre les dérèglements climatiques, l’invité de la soirée fait remarquer qu’il y a un grand risque que la maîtrise climatique soit un adversaire de la lutte contre la pauvreté.
On peut craindre que si la question de l’environnement devient prioritaire, la lutte contre la pauvreté, qui entraîne nécessairement d’importantes productions et consommations de matières premières, disparaîtra comme victime collatérale du changement climatique.
C’est la raison pour laquelle Positive Planet depuis dix ans cherche à inciter les microentrepreneurs à utiliser ou à vendre des énergies renouvelables. Quand on a affaire à deux problèmes, souvent l’un est la solution de l’autre.

AGIR CONTRE LA PAUVRETÉ EN FRANCE

Dans les ban­lieues, Posi­tive Pla­net aide les jeunes des quar­tiers à mon­ter leur entre­prise, à vou­loir mon­ter un projet. 

Le constat est le sui­vant : aider un jeune à créer son entre­prise qui, sta­tis­ti­que­ment est pérenne pen­dant plus de trois ans, coûte moins cher que cette même per­sonne au chô­mage pen­dant deux mois. 

Des actions simi­laires sont menées avec des réfu­giés, pour les aider à mon­ter leur entre­prise, à être consi­dé­rés comme créa­teurs d’entreprises plu­tôt que salariés. 

TOUS INTERMITTENTS DU SPECTACLE ?

Selon Jacques Atta­li, nous allons vers la mort du sala­riat car l’expérience prouve que cha­cun veut exis­ter par lui-même. Les tra­vailleurs seront tous des tra­vailleurs indé­pen­dants, dont le sta­tut res­sem­ble­ra au sta­tut d’intermittent du spec­tacle, tout le temps en situa­tion de réin­ven­ter sa vie. 

Ce n’est pas for­cé­ment sécu­ri­sant, d’où les ten­ta­tions de repli sécu­ri­taire. Mais c’est la grande ten­dance, qui peut être soit très valo­ri­sante, si on la voit comme l’épanouissement de soi, soit trau­ma­ti­sante, si on la voit comme une incer­ti­tude institutionnalisée. 

Président et vice-président de X-Microfinance
David Smad­ja (2015) et Nathan Ron­ce­ray (2015), vice-pré­sident et pré­sident de l’association X‑MicroFinance.

LA FINANCE POSITIVE

Pour allier prospérité et philanthropie, il est nécessaire de définir de nouveaux indicateurs capables de capter l’impact social des politiques économiques.
Ainsi la finance peut devenir « positive », c’est-à-dire soucieuse du développement économique et social du monde qui l’entoure. C’est dans cet esprit qu’est apparue la notion d’indices de positivité. Il en existe une trentaine parmi lesquels le poids de la dette, l’aide au développement, le taux d’émissions de gaz à effet de serre, le recours aux énergies renouvelables, mais aussi la qualité du système scolaire, de sa capacité à corriger les inégalités, ou enfin, la qualité de la démocratie et la tolérance.
Parmi les 34 pays membres de l’OCDE, la France se classe 18e, un classement médiocre dû entre autres à la faiblesse de son système scolaire dans la lutte contre les inégalités.

TROUVER SON BONHEUR EN ÉTANT ALTRUISTE

Com­ment s’engager pour l’avenir, a deman­dé un jeune par­ti­ci­pant ? « Trou­ver son bon­heur en étant altruiste, deve­nir soi, réa­li­ser quelque chose qui ne peut être fait par per­sonne d’autre, faire quelque chose d’utile. La vie est courte », a répon­du Jacques Attali. 

« Créer les condi­tions pour que les pauvres n’aient plus besoin de nous est for­mi­da­ble­ment gratifiant. » 

ÉVITER UNE DÉPENDANCE VIS-À-VIS DU MICROCRÉDIT

David Smad­ja (2015) et Nathan Ron­ce­ray (2015), res­pec­ti­ve­ment vice-pré­sident et pré­sident de l’association X‑MicroFinance, ont posé la ques­tion de la per­ti­nence de la limite dans le temps des micro­cré­dits pour évi­ter de tom­ber dans une spi­rale infla­tion­niste et une dépen­dance vis-à-vis du microcrédit. 

FORMER LES JEUNES

Sur la question des banlieues, Jean-Marie Petitclerc (71), présent au débat, pense que permettre à des jeunes qui ont tout un potentiel de pouvoir monter des projets, les aider dans le financement est une idée excellente.
« Cela suppose qu’il y ait tout un effort préalable de formation de ces jeunes, nécessaire à cause de l’échec de notre école. Je souhaite que ces microcrédits ne soient pas que le fait de microréalisations mais qu’on puisse avoir énormément de réalisations fondées sur ce processus. »

C’est en effet une pro­blé­ma­tique pour la situa­tion actuelle de leur asso­cia­tion et pour de nom­breuses asso­cia­tions huma­ni­taires de micro­cré­dit en France. 

Jacques Atta­li leur a enjoint de res­pec­ter deux règles : prê­ter en des­sous du taux d’usure du pays et contrô­ler l’utilisation du cré­dit pour évi­ter son més­usage, plu­tôt que limi­ter les cré­dits dans le temps. Il a éga­le­ment mis en avant la notion d’ « indices de posi­ti­vi­té » dans la micro­fi­nance ou finance positive. 

L’indice de posi­ti­vi­té des nations ana­lyse la capa­ci­té d’un pays à pla­cer l’altruisme au cœur de ses prio­ri­tés, selon trois dimen­sions essen­tielles : altruisme entre géné­ra­tions, altruisme entre ter­ri­toires et altruisme entre acteurs.

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