X‑Solidarités ouvre le débat avec Jacques ATTALI (63)
Le dernier débat de X‑Solidarités portait sur la microfinance et la microassurance. L’invité d’honneur était Jacques Attali (63), président de Positive Planet qui aide les jeunes des quartiers de banlieue à monter leur entreprise. Il voit venir la mort du salariat, chacun voulant exister par lui-même. Cette grande tendance peut être soit valorisante, si on la voit comme l’épanouissement de soi, soit traumatisante, si on la voit comme une incertitude institutionnalisée.
« Nous allons vers la mort du salariat », annonce Jacques Attali.
Dans son propos introductif, Jacques Attali a fait observer que la lutte contre la pauvreté ressemble souvent au tonneau des Danaïdes quand on sait qu’un milliard de personnes souffrent de la faim. Il faut donc changer de logiciel. Comme le disait le philosophe juif Moïse Maïmonide, il y a huit degrés pour pratiquer la charité.
Le plus haut degré consiste à aider un pauvre à créer ses affaires ou l’associer à ses propres affaires, jusqu’à ce qu’il ne soit plus dépendant des autres. C’est ce à quoi s’emploient la microfinance – ou finance positive – et la microassurance.
La première veut donner l’accès au microcrédit et à l’épargne à toujours plus de personnes dans les pays en développement.
La seconde travaille à créer pour elles une couverture santé indispensable et encore très rare, une assurance récoltes en cas de problèmes climatiques, etc.
LA TECHNOLOGIE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT
Ces multitudes de situations font appel à des techniques très sophistiquées et à une grande variété de métiers. Le développement technologique, très actif dans les pays en développement, est d’une grande aide pour relever ces défis.
C’est en effet dans ces pays que l’on compte le plus de téléphones mobiles (près d’un milliard en Afrique) et où ont d’abord émergé les fintechs, c’est-à-dire les technologies qui permettent d’avoir accès aux clients indépendamment d’un réseau physique.
CLIMAT ET PAUVRETÉ
Concernant la lutte contre les dérèglements climatiques, l’invité de la soirée fait remarquer qu’il y a un grand risque que la maîtrise climatique soit un adversaire de la lutte contre la pauvreté.
On peut craindre que si la question de l’environnement devient prioritaire, la lutte contre la pauvreté, qui entraîne nécessairement d’importantes productions et consommations de matières premières, disparaîtra comme victime collatérale du changement climatique.
C’est la raison pour laquelle Positive Planet depuis dix ans cherche à inciter les microentrepreneurs à utiliser ou à vendre des énergies renouvelables. Quand on a affaire à deux problèmes, souvent l’un est la solution de l’autre.
AGIR CONTRE LA PAUVRETÉ EN FRANCE
Dans les banlieues, Positive Planet aide les jeunes des quartiers à monter leur entreprise, à vouloir monter un projet.
Le constat est le suivant : aider un jeune à créer son entreprise qui, statistiquement est pérenne pendant plus de trois ans, coûte moins cher que cette même personne au chômage pendant deux mois.
Des actions similaires sont menées avec des réfugiés, pour les aider à monter leur entreprise, à être considérés comme créateurs d’entreprises plutôt que salariés.
TOUS INTERMITTENTS DU SPECTACLE ?
Selon Jacques Attali, nous allons vers la mort du salariat car l’expérience prouve que chacun veut exister par lui-même. Les travailleurs seront tous des travailleurs indépendants, dont le statut ressemblera au statut d’intermittent du spectacle, tout le temps en situation de réinventer sa vie.
Ce n’est pas forcément sécurisant, d’où les tentations de repli sécuritaire. Mais c’est la grande tendance, qui peut être soit très valorisante, si on la voit comme l’épanouissement de soi, soit traumatisante, si on la voit comme une incertitude institutionnalisée.
David Smadja (2015) et Nathan Ronceray (2015), vice-président et président de l’association X‑MicroFinance.
LA FINANCE POSITIVE
Pour allier prospérité et philanthropie, il est nécessaire de définir de nouveaux indicateurs capables de capter l’impact social des politiques économiques.
Ainsi la finance peut devenir « positive », c’est-à-dire soucieuse du développement économique et social du monde qui l’entoure. C’est dans cet esprit qu’est apparue la notion d’indices de positivité. Il en existe une trentaine parmi lesquels le poids de la dette, l’aide au développement, le taux d’émissions de gaz à effet de serre, le recours aux énergies renouvelables, mais aussi la qualité du système scolaire, de sa capacité à corriger les inégalités, ou enfin, la qualité de la démocratie et la tolérance.
Parmi les 34 pays membres de l’OCDE, la France se classe 18e, un classement médiocre dû entre autres à la faiblesse de son système scolaire dans la lutte contre les inégalités.
TROUVER SON BONHEUR EN ÉTANT ALTRUISTE
Comment s’engager pour l’avenir, a demandé un jeune participant ? « Trouver son bonheur en étant altruiste, devenir soi, réaliser quelque chose qui ne peut être fait par personne d’autre, faire quelque chose d’utile. La vie est courte », a répondu Jacques Attali.
« Créer les conditions pour que les pauvres n’aient plus besoin de nous est formidablement gratifiant. »
ÉVITER UNE DÉPENDANCE VIS-À-VIS DU MICROCRÉDIT
David Smadja (2015) et Nathan Ronceray (2015), respectivement vice-président et président de l’association X‑MicroFinance, ont posé la question de la pertinence de la limite dans le temps des microcrédits pour éviter de tomber dans une spirale inflationniste et une dépendance vis-à-vis du microcrédit.
FORMER LES JEUNES
Sur la question des banlieues, Jean-Marie Petitclerc (71), présent au débat, pense que permettre à des jeunes qui ont tout un potentiel de pouvoir monter des projets, les aider dans le financement est une idée excellente.
« Cela suppose qu’il y ait tout un effort préalable de formation de ces jeunes, nécessaire à cause de l’échec de notre école. Je souhaite que ces microcrédits ne soient pas que le fait de microréalisations mais qu’on puisse avoir énormément de réalisations fondées sur ce processus. »
C’est en effet une problématique pour la situation actuelle de leur association et pour de nombreuses associations humanitaires de microcrédit en France.
Jacques Attali leur a enjoint de respecter deux règles : prêter en dessous du taux d’usure du pays et contrôler l’utilisation du crédit pour éviter son mésusage, plutôt que limiter les crédits dans le temps. Il a également mis en avant la notion d’ « indices de positivité » dans la microfinance ou finance positive.
L’indice de positivité des nations analyse la capacité d’un pays à placer l’altruisme au cœur de ses priorités, selon trois dimensions essentielles : altruisme entre générations, altruisme entre territoires et altruisme entre acteurs.