Yves Carcelle (66), une vocation singulière
Au sein de la communauté polytechnicienne, Yves Carcelle représente le prototype achevé, presque idéal, de ces « vocations singulières » auxquelles Jean-Pierre Callot consacre avec tendresse un chapitre de son Histoire de l’École polytechnique.
Yves Carcelle appartenait à une génération où le sujet d’élite se devait de sortir dans un rang flatteur lui ouvrant la porte d’un corps prestigieux.
Il fit consciemment des choix opposés à l’orthodoxie dominante : entré parmi les plus jeunes de sa promotion, il était déjà plus soucieux d’élargir à l’extérieur ses champs d’intérêt et ses connaissances du monde réel que de suivre un enseignement fidèlement attaché à la grande tradition scientifique française du XIXe siècle.
La méthode Carcelle
Puis, pressentant avec réalisme les mutations de l’économie, il choisit de démissionner et de débuter sa carrière dans le domaine du marketing – terme alors presque indécent à l’X – et dans des entreprises (Spontex, Absorba) où jamais polytechnicien n’avait mis le pied.
C’est dans ce secteur d’activité, tourné vers le grand public, qu’il mit au point deux des éléments qui devaient constituer plus tard la « méthode Carcelle », une vision stratégique large et rigoureuse associée à un souci méticuleux du détail dans la conception, la finition et la distribution des produits.
Art et Design
Le troisième ingrédient de ce cocktail gagnant, Yves Carcelle allait le découvrir après avoir dirigé Descamps, passage propédeutique vers le monde du luxe aux côtés de Bernard Arnaud, à la tête de ce qui allait devenir le groupe LVMH : il s’agit de l’imbrication étroite de l’art contemporain et du design.
“ Il fit des choix opposés à l’orthodoxie dominante ”
Collaborant avec les artistes les plus célèbres : Buren, Richard Prince, Murakami ou Marc Jacobs, directeur artistique du groupe, Yves Carcelle a formidablement réussi le développement mondial et la diversification de la marque Vuitton dans les principaux secteurs de l’industrie du luxe.
Il fut l’un des promoteurs de ce pilier de notre économie nationale au sein du Comité Colbert dont il était administrateur.
La lenteur, processus créatif
Sa passion éclairée pour l’art contemporain l’amena, après son départ de Vuitton, à la vice-présidence de la Fondation Louis- Vuitton pour la création, tout en étant administrateur du Palais de Tokyo.
Cet attrait pour un hédonisme raffiné et rigoureux, Yves Carcelle en fit aussi preuve dans ses passions et dans ses engagements.
Son intérêt pour l’art viticole qui l’a vu élaborer méticuleusement son propre vin, le Sarus, lui a permis de mesurer le rôle de la lenteur comme processus créatif, lui qui était toujours dans la mobilité.
Courage et détermination
“ Il y a désormais le luxe avant Carcelle et le luxe après Carcelle. ”
Paolo de Cesare,
président du Printemps
À la fin d’une existence aussi pleine, ce grand sportif, passionné de voile, a manifesté, face à une terrible maladie qui ne lui laissait aucun espoir, une équanimité, un courage et une détermination exemplaires ; il a accepté de suivre une thérapie ciblée avec l’équipe médicale, pour faire avancer la recherche.
Il laisse à ses camarades de la communauté polytechnicienne, à laquelle il demeura toute sa vie profondément attaché, le souvenir d’un homme généreux, pétillant d’intelligence et de créativité, et d’une grande fidélité en amitié.